« Patient et soignant sont tous deux des humains.
Ils arpentent tous deux la route dangereuse, imprévisible et finie de la vie.
Peu de chose, symboliquement, les différencient. En pratique, ce qui les sépare
est leur situation. Le patient est un humain tombé dans un fossé (un ravin, un
gouffre) et souffre. Il demande de l’aide à ses proches et, parfois, à un
soignant. Le soignant est un humain qui dispense des soins. Parfois c’est un
geste spontané, désintéressé ; parfois, c’est un métier choisi et il en vit.
Dans un cas comme dans l’autre, c’est son attitude qui fait de lui un soignant,
et non son statut. » Ces paroles de M. Winckler lors de la Conférence d’éthique
clinique à Paris en avril 2014, situent d’emblée les enjeux de ce qui nous
rassemble : notre humanité commune (patients et soignants) et
l’hospitalité nécessaire à la souffrance psychique.
Pour nous, la relation est première dans toute
démarche de soin. Seule garantie d’une prise en charge cohérente, elle
repose sur l’existence d’espaces de travail et d’élaboration collectifs dans
lesquels chacun s’engage, s’appuyant sur ce collectif dans les difficultés
auxquelles le travail le confronte. Pour nous, ceci est nécessaire aussi bien
dans le secteur public que dans le secteur privé (libéral et institutionnel.
Car, l’existence d’une fonction soignante ne va pas de soi, elle doit être
remise en cause chaque jour pour chaque patient. Pas de recette à priori, mais
une élaboration des expériences du quotidien, tant dans leur banalité que dans
leurs impasses, et de façon régulière avec d’autres soignants.
On constate de plus en plus un manque d’attention à
l’égard des patients et des familles, des contraintes pour imposer aux patients
une continuité de ce qui ne peut plus avoir le nom de « soin ». Car le
soin consiste avant tout à travailler la qualité du lien thérapeutique,
ce qui est le contraire de la démarche qualité qu’on nous impose
aujourd’hui. En effet, le soin ne peut être de qualité que si est pris en compte
le lien des soignants avec les patients, leur famille, leur environnement ainsi
que le lien des patients entre eux et celui des soignants dans l’institution qui
les abrite.
Or il n’y a plus d’abri pour le soin
aujourd’hui.
Comment en est-on arrivé là ?
Depuis 2007, avec la Révision Générale des
Politiques Publiques, puis avec la Loi Hôpital, Patients, Santé et Territoires
(HPST), suivie en 2012 par la Modernisation de l'Action Publique (MAP), les
gouvernements successifs n’ont eu de cesse de transformer le Secteur et le
Médicosocial en entreprises soumises à la concurrence du privé dans des missions
de service public. Ils ont ainsi transformé ceux qui se trouvent sur une route
difficile, du fait de multiples facteurs autant subjectifs que sociétaux, en
simples clients auxquels est faite l’offre d’un panel de réponses codifiées : le
modèle hégémonique proposé est celui d’un homme dont la vie et l’existence sont
réduites à un ensemble de neurones à médiciner et de comportements à rééduquer,
réduisant les professionnels de la santé et du médicosocial à n’être que de
simples « techniciens ».
La Haute Autorité de Santé (HAS), avec son volet
«Psychiatrie» dont nous demandons la suppression, est une machine qui produit en
continu des normes et des techniques qui n’ont rien à voir avec le lien
thérapeutique tel que nous l’entendons, patients, familles et soignants réunis
dans le Collectif des 39. La notion de « profession » et celle de « soin » sont
abolies dans cette orientation.
Sur le terrain chacun assiste à un mépris du travail
quotidien, de la notion d’équipe, et des professionnels. « Est-ce que la
psychiatrie est là pour apprendre la tarte aux pommes ? », répondait à la
délégation d’Inter-Collège des psychologues d’Ile-de-France une représentante de
la Direction Générale de l’Organisation des Soins. Ou encore « Les patients
ne sont pas là pour prendre du plaisir mais pour se faire soigner »
entend-on ailleurs. Comme si l’objectif du soin n’était pas « avant tout, le
mieux-être (ou le moins-mal-être) du patient » ! Mais alors quel serait-il ?
Ainsi, dans cette orientation que nous contestons,
le socle commun des sciences humaines – qui s’associait jusque là au médical –
est abandonné au profit de l’application de ces procédures opératoires et de
gestes techniques qui nient l’histoire de chacune des personnes accueillies,
nient sa parole et empêchent toute construction subjective.
Quel est le socle commun de ces formations
obligatoires ?
Le Néolibéralisme triomphant a besoin de techniciens
et non pas d’humains qui pensent et réfléchissent collectivement. La compétition
encouragée, toute démarche collective devient impossible voire dangereuse. Aussi
sous couvert de (DPC) Développement Professionnel Continu, aussi bien dans le
secteur public que dans le secteur privé, sont appliquées comme dans l’industrie
agro-alimentaire, une « traçabilité » et une « transparence », qui fusionnent
dans un concept commun l’évaluation des pratiques et une formation continue
obligatoire, au lieu d’une dialectique entre savoirs acquis et expériences de
terrain.
C’est ainsi que nous analysons la souffrance des
professionnels qui ne trouvent plus de sens à leurs actions et se replient dans
des actes techniques ou administratifs, abandonnant les patients, les
« usagers ».
C’est ainsi que nous comprenons la gravité,
parmi d’autres, des faits suivants :
- l’apparition dans le secteur médico-social de
techniques de management qui font fi, comme à l’hôpital, du « prendre soin » des
personnes accueillies,
- Le DSM comme seule théorie de la souffrance
psychique,
-le refus de formations liées à la psychanalyse (cf.
le CMPP d’Orly) par des acteurs qui vont, par collaboration ou soumission
volontaire, encore plus loin que les préconisations de la HAS,
-le refus de la spécificité d’une formation
infirmière,
-la mise à mal des services qui pratiquent la
psychothérapie institutionnelle avec suppression de postes
d’internes,
- « l’oubli » de la présence des psychologues à
l’hôpital dans le projet de loi de santé de septembre 2014, qui est un acte
symbolique fort que nous adresse le Ministère.
Pourtant des pratiques de subversion et de
résistance se font connaître à l’Hôpital, dans les Secteurs, dans le
Médico-social : elles se sont forgées au cours des années, en même temps que la
logique de ces attaques était analysée et devenait plus lisible.
C’est pourquoi, nous souhaitons, dans ce
Forum « Fonction soignante et Pratiques du Collectif »,
donner parole à tous ceux qui voudraient bien partager leurs expériences
de terrain et de lutte pour récuser une telle dérive
destructrice.