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André Grimaldi est professeur
émérite d’endocrinologie-diabétologie au CHU Pitié-Salpêtrière (Paris). Il a écrit "LA SANTÉ ÉCARTELÉE. ENTRE SANTÉ PUBLIQUE ET
BUSINESS", ÉDITIONS DIALOGUES, 2013".
Il répond aux questions du journal "HUMANITE DIMANCHE" à propos de la loi santé:
Le projet de
loi santé qui devrait bientôt être présenté en Conseil des ministres, et
débattu au Parlement début 2015, a les atours d’une réforme juste. Au-delà de
nécessaires mesures de prévention, elle réintroduit la notion de service public
hospitalier, généralise le tiers payant, permet des actions de groupe ou
instaure un peu de démocratie sanitaire. Elle n’est cependant pas à la hauteur
des enjeux de notre système de santé. Et surtout, nous explique le défenseur de
l'accès aux soins pour tous, André Grimaldi, elle fragilise insidieusement le
statut de l’hôpital public.
Pouvez-vous nous présenter le contenu du projet de loi
santé ?
André Grimaldi. Il s’agit d’une loi qui prétend « refonder » notre système de santé. En réalité, elle se contente de l’aménager. Parmi les bonnes intentions, on peut retenir l’accent mis sur la prévention, l’élargissement de l’accès à la contraception d’urgence, l’éducation à la santé dès l’école, la mise à disposition d’une information nutritionnelle unique et simple, la possibilité pour les sages-femmes et les pharmaciens de vacciner, le plafonnement des coûts des soins bucco-dentaires pour les bénéficiaires de l’aide à la complémentaire santé, la volonté affirmée de mettre en place d’ici à 2017 le tiers payant permettant au patient de ne pas avoir à avancer les coûts des soins remboursés par la Sécurité sociale et par les mutuelles, la mise en place d’un numéro unique d’appel à un médecin de garde, la possibilité d’actions de groupe pour les personnes victimes d’un scandale sanitaire et enfin la création du statut d’infirmier clinicien pouvant effectuer un certain nombre d’activités médicales. Attendons de voir comment cela se traduira en pratique. Mais elle est décevante sur les sujets majeurs.
André Grimaldi. Il s’agit d’une loi qui prétend « refonder » notre système de santé. En réalité, elle se contente de l’aménager. Parmi les bonnes intentions, on peut retenir l’accent mis sur la prévention, l’élargissement de l’accès à la contraception d’urgence, l’éducation à la santé dès l’école, la mise à disposition d’une information nutritionnelle unique et simple, la possibilité pour les sages-femmes et les pharmaciens de vacciner, le plafonnement des coûts des soins bucco-dentaires pour les bénéficiaires de l’aide à la complémentaire santé, la volonté affirmée de mettre en place d’ici à 2017 le tiers payant permettant au patient de ne pas avoir à avancer les coûts des soins remboursés par la Sécurité sociale et par les mutuelles, la mise en place d’un numéro unique d’appel à un médecin de garde, la possibilité d’actions de groupe pour les personnes victimes d’un scandale sanitaire et enfin la création du statut d’infirmier clinicien pouvant effectuer un certain nombre d’activités médicales. Attendons de voir comment cela se traduira en pratique. Mais elle est décevante sur les sujets majeurs.
Est-elle en rupture avec la loi hôpital, patients,
santé et territoires (HPST) de Roselyne Bachelot ?
André Grimaldi. Elle est en rupture dans les mots. D’une part, la loi restaure la notion de
service public hospitalier (SPH) que la loi Bachelot avait supprimée et,
d’autre part, elle pointe très justement le défi auquel fait face notre système
de santé : le développement des maladies chroniques. 17 millions de personnes
en sont atteintes en France, dont 9 millions utilisent 65 % du budget de la
Sécurité sociale. Or le traitement de ces patients nécessite une médecine
personnalisée et intégrée à la fois biomédicale, pédagogique, psychologique et
sociale. Il faut aussi une médecine coordonnée entre la ville et l’hôpital. Le
financement des hôpitaux à l’activité (T2A) et la rémunération des médecins
libéraux à l’acte sont des obstacles au développement de cette nouvelle
médecine.
« LA DÉPENSE DE
SANTÉ, PUBLIQUE À HAUTEUR DE 75 % ET PRIVÉE À 25 %, REPRÉSENTE 12 % DU PIB, LES
ENJEUX FINANCIERS SONT DONC COLOSSAUX. »
N’est-ce pas un progrès de parler de «service public
hospitalier » ?
André Grimaldi. Oui, c’est un progrès, mais se contenter de le définir par ses obligations
(permanence et adaptation des soins, non-sélection des patients, absence de
dépassement d’honoraires) est très insuffisant. Les deux principaux critères
devraient être l’indépendance des professionnels vis-à-vis des puissances
financières et une gestion fondée sur le juste soin pour le patient au moindre
coût pour la collectivité et non sur la recherche de la rentabilité. Le fait de
verser des dividendes à des actionnaires ou de choisir les activités en
fonction de leur rentabilité devrait être incompatible avec l’appartenance au
SPH. Or la loi dit l’inverse. Elle affirme que si les cliniques commerciales
respectent les « obligations » du SPH, elles pourront en faire partie ! Il faut
que les soignants soignent en fonction de l’intérêt du patient, et pas en
fonction de leur intérêt personnel ou de l’intérêt de leur financeur. Cela ne
veut pas dire qu’ils n’ont pas de comptes à rendre. L’hôpital public doit être
au service du public et agir dans son territoire au service de la santé
publique.
Que recouvre la notion de «service territorial de santé
au public»?
André Grimaldi. Pour ne pas dire « service public », on a inventé l’expression de « service au public ». Il s’agit d’une
auberge espagnole où les professionnels imposeront leurs choix en passant
contrat avec les agences régionales de santé (ARS). Il fallait au contraire
assumer la dualité de notre système avec, d’un côté, la vieille médecine
libérale et son paiement à l’acte et, de l’autre, une nouvelle médecine
d’équipe, en centre de santé ou en maison médicale secteur 1, non payée à
l’acte et travaillant en liens structurels avec les hôpitaux publics.
Vous dites que les frontières entre le privé et le
public sont de plus en plus poreuses. En quoi ?
André Grimaldi. Non seulement notre système est mixte, fruit du double compromis historique
de 1945 entre, d’une part, l’État et la médecine libérale et, d’autre part, la
Sécurité sociale et les assurances privées dites complémentaires, mais en plus
on brouille les cartes. On laisse entendre que la Générale de santé, qui vient
d’être rachetée par le groupe Ramsay, pourrait très bien faire partie du SPH et
on mélange sous le terme de protection sociale l’assurance maladie obligatoire
et les assurances complémentaires moins égalitaires, moins solidaires et beaucoup
plus chères. Pour accroître la confusion on joue sur les mots. Des cliniques
commerciales s’appellent hôpital, des assurances privées lucratives s’appellent
mutuelles et, à côté de l’UNCAM (l’assurance maladie obligatoire), il y a les
assurances privées mutualistes ou non regroupées dans l’UNOCAM !
« LA SÉCU SE
CONSACRERA AUX PLUS PAUVRES, AUX PATHOLOGIES GRAVES, LES SOINS COURANTS SERONT
LAISSÉS AUX ASSURANCES COMPLÉMENTAIRES. »
Vers quel système de santé va-t-on ?
André Grimaldi. On va garder notre système mixte, mais en continuant progressivement à le
privatiser. La Sécu se consacrera aux personnes les plus pauvres (CMU) et aux
patients ayant les pathologies les plus graves, et les soins courants seront de
plus en plus laissés aux assurances complémentaires. L’institution de
l’obligation d’une assurance complémentaire d’entreprise (subventionnée par
l’État) est une première étape. Les conséquences du désengagement de la Sécu au
profit des mutuelles et des compagnies d’assurance sont connues : accroissement
des inégalités sociales de santé, augmentation des dépenses de santé, mais
réduction relative de la dépense publique. La structure des dépenses de santé
détermine en grande partie leur coût global. Elle est aux États-Unis pour
moitié publique et pour moitié privée, avec une dépense totale de 18 % du PIB.
En Grande-Bretagne elle est à près de 100 % publique avec une dépense totale de
9 % du PIB. La France a une structure de dépense de 75 % publique et de 25 %
privée avec une dépense totale de 12 % du PIB. Les enjeux financiers sont
évidemment colossaux pour les assureurs privés. Dans cette affaire, la
mutualité joue hélas le rôle du cheval de Troie. En ce qui concerne les
hôpitaux, la logique de privatisation entreprise par Nicolas Sarkozy a été freinée
par les mouvements d’opposition qu’elle a suscités. Mais, avec la nouvelle
définition du SPH, les hôpitaux publics pourraient devenir des établissements
privés à but non lucratif. Ils auraient ainsi une plus grande « souplesse »
pour embaucher et débaucher les personnels. C’est le programme clairement
exprimé par François Fillon, un ex-gaulliste social !
Quelles mesures aurait-il fallu prendre pour asseoir
un système de santé solidaire ?
André Grimaldi. Il aurait fallu aller en sens inverse, en définissant un panier de soins
égalitaire remboursé à 100 % par la Sécu permettant à chacun d’être bien soigné
au moindre coût. Les soins superflus ou relevant de choix personnels seraient
financés par les assurances supplémentaires (mutualistes ou non) ou directement
par les ménages eux mêmes. Ce n’est pas à la Sécu de rembourser les cures
thermales, l’homéopathie, les médicaments sans amélioration du service médical
rendu et la multiplication d’examens inutiles... Mais elle ne rembourse plus à
100 % la prise en charge de l’hypertension artérielle sévère et rembourse de
façon dérisoire les soins bucco-dentaires et les soins d’optique. La définition
d’un panier de soins solidaire pris en charge à 100 % permettrait des gains de
gestion considérables quand on sait que la France y consacre près de 15
milliards d’euros.